28/10/2025 reseauinternational.net  12min #294637

Grèce : Fête nationale

par Panagiotis Grigoriou

Chaque 28 octobre, la Grèce célèbre sa fête nationale de l'automne, celle du «NON» retentissant des Grecs qui marqua l'engagement du pays dans la Seconde Guerre mondiale.

La statue de Vassílios Tsavaliáris. Piália, 2025.

Cet anniversaire du «NON», commémore le refus de la Grèce d'accéder aux exigences italiennes contenues dans l'ultimatum adressé par l'ambassadeur d'Italie Emanuele Grazzi au Premier ministre grec, alors chef du régime autoritaire en Grèce, Ioánnis Metaxás le 28 octobre 1940.

Notons qu'Emanuele Grazzi, ambassadeur d'Italie à Athènes de 1939 à 1940, raconte dans ses mémoires, l'année tumultueuse où la politique du régime en place a définitivement perdu contact avec la réalité dans sa vaine tentative de répondre par des faits à l'avancée rapide et dévastatrice de l'Allemagne en Europe, cherchant ainsi, dans la croyance d'une victoire certaine, à s'asseoir dignement à la table des vainqueurs. Son livre est disponible depuis un moment déjà pour le public italophone et même hellénophone après sa traduction.

Vassílios Tsavaliáris, 1912-1940, Piália archives locales.

Nous avons donc abordé la grande... histoire du 28 Octobre à travers nos articles, y compris sur ce blog. Elle a été également relatée dans l'ouvrage, désormais de référence en français sur l'histoire grecque contemporaine, celui de l'ami historien et écrivain Olivier Delorme : «La Grèce et les Balkans».

Et pour ce qui est de l'histoire à travers «la petite porte», celle que les archives dévoilent enfin mais au compte-gouttes, les plans italiens étaient suffisamment connus à Athènes, tandis qu'à Rome, les agents britanniques avaient informé «qui de droit» des plans grecs, établis et avérés entre l'état-major du général Papagos et le roi Georges II, préparant plutôt la retraite des forces hellènes de la quasi-totalité du territoire de l'Épire, la région grecque voisine de l'Albanie.

La mémoire du général Metaxás honorée. Athènes, années 2020.

Ce qui en dépit des avertissements de l'ambassadeur Emanuele Grazzi, laissait entendre et surtout croire, que la Campagne de la Grèce se résumerait en une sorte de «promenade» pour l'armée italienne. Visiblement et à son habitude, la Puissance britannique «s'arrangeait» alors la guerre telle qu'elle la désirait en Méditerranée et ceci par tous les moyens, quitte à détruire tous les pays «concernés».

Cependant, le général Metaxás avait de fait court-circuité les plans «d'en haut», car il avait placé sur le terrain des officiers qui lui étaient alors fidèles, tels les généraux Katsimítros et Vrachnós. L'ordre reçu était : ne pas reculer et ne guère céder un pouce de territoire, tout en attendant le déploiement de la mobilisation générale, celle que les Grecs ont réalisé il faut dire avec enthousiasme. Dont celui des femmes de l'Épire, ayant dégagé à la pioche et à la pelle les rudes passages pour que les mobilisés puissent accéder au front le plus rapidement possible.

Piália, village thessalien près de Pýli et de Trikala, 2025.

Sur le terrain les combats ont fait rage et les héros, Grecs comme Italiens, en ont eu comme on dit, pour leur grade. Dans cet article justement, nous évoquerons la «petite histoire», dite parfois anecdotique car «d'en bas», celle du premier soldat grec tombé pendant la guerre italo-grecque de 1940.

Ce combattant était Vassílios Tsavaliáris, soldat de première ligne, il fut tué par un obus de mortier quelques minutes après le début de l'attaque italienne. Vassílios était le fils d'Ioánnis Tsavaliáris et de son épouse Agorítsa, quatrième d'une famille de cinq enfants, né en 1912 à Piália, près de Pýli et de Trikala, un village situé à la périphérie de Kóziakas à 260 mètres d'altitude, une montagne appartenant à la chaine du Pinde en Thessalie Occidentale, qui est d'ailleurs ma région.

Sous le Pinde, Thessalie, 2025.

Ayant visité récemment Piália, je dirais qu'elle se caractérise toujours par ses platanes imposants, accompagnant la rivière qui le traverse tout au long de son parcours, tandis que sur la colline proche de Paleókastro, à environ 400 mètres d'altitude, on découvre les vestiges de l'ancienne citée de Pialeía. Selon le recensement de 2021, Piália moderne, comptait 640 habitants, contre 755 en 2011.

C'est autant dans cette contrée thessalienne, que l'élevage se maintient encore un peu mais difficilement, dans un pays grec il faut préciser, ayant perdu en moins de dix ans plus de la moitié de son cheptel. Aux tavernes locales on sert certes encore de la viande du pays, mais pour combien de temps encore ? Et fort heureusement, outre la presse locale qui relate les faits, à Piália on se souvient toujours des héros du passé. Couleur locale ?

Viande locale. Thessalie, 2025.

Ceux qui l'ont connu déjà, ils se souviennent de Vassílios Tsavaliáris comme d'un enfant travailleur, modèle de patience, de moralité et de bonté, élevé dans un environnement modeste, mais imprégné des valeurs chrétiennes grecques traditionnelles. Il fit son service militaire au 5e Régiment d'Infanterie basé à Tríkala, de septembre 1933 à novembre 1934 et après sa démobilisation, il retourna dans son village où il fonda sa propre famille. Avec sa femme Eleni, ils ont eu trois enfants : Nikólaos, Geórgios et Alexándra.

Au 22 juillet 1940, il fut de nouveau appelé dans le cadre de la mobilisation limitée, ordonnée par Ioánnis Metaxás, car l'Italie de Mussolini était entrée en guerre aux côtés de l'Allemagne et aux yeux de Metaxás, l'attaque contre la Grèce, elle devenait alors imminente.

Femmes du Pinde aidant l'armée grecque. Octobre 1940.

Vassílios Tsavaliáris fut d'abord affecté au 5e Régiment d'Infanterie, puis au 51e Régiment d'Infanterie, pour prendre position en Épire, en première ligne, cela dès le début septembre 1940. À la veille de l'attaque italienne, il servit dans le détachement du Pinde, sous les ordres du colonel Konstantínos Davákis. Cette unité, composée de soldats Thessaliens issus de Tríkala et de Kardítsa, avait pris position défensivement sur la frontière gréco-albanaise. Tsavaliáris, lui comme d'autres compatriotes Thessaliens, entreprit de défendre le 21e avant-poste de la frontière gréco-albanaise sur la colline de Gólio, près de Pyrsógianni.

La chronique locale, rappelle ainsi «que pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats du district de Trikala se sont retrouvés en première ligne dès le début et ils combattirent alors avec un héroïsme sans égal, nombre d'entre eux, sacrifiant même leur vie pour la défense de leur patrie». Ces gardes-frontières grecs étaient ainsi décidés à rester sur leurs positions défensives, sachant depuis des mois que l'armée de l'Italie de Mussolini tenterait de «traverser» la Grèce.

Pyrsógianni, près de la frontière gréco-albanaise, 2025.

Ainsi sur la frontière, les forces grecques étaient déjà en état d'alerte. Les officiers inspectaient continuellement leurs troupes et chacun savait que les Italiens pouvaient attaquer jour après jour, car ces derniers ne s'en cachaient guère. «Ils avaient enregistré de fréquentes reconnaissances et tentatives pour repérer les positions grecques», explique le général Ioánnis Kakoudákis, chef de la Direction historique de l'armée, de 1999 à 2004.

«Les Italiens avaient incorporé l'Albanie et avaient déjà aligné leurs forces sur deux fronts. Avant même l'éclatement de la première ligne de feu, à 5 heures du matin le 28 octobre 1940, les canons ennemis ont commencé à tonner et à disperser leurs tirs». À 5 h 30 du matin, le 28 octobre 1940, l'attaque italienne débuta, une demi-heure avant l'expiration de l'ultimatum adressé à Metaxás. L'artillerie italienne commença à tirer et l'infanterie passa du côté grec. L'avant-poste qu'il défendait, fut l'une des premières cibles de l'assaillant.

La taverne. Pyrsógianni, 2025.

C'est là dans la tranchée, mitrailleuse à la main, que Vassílios Tsavaliáris tomba mort, sous un éclat de mortier. Selon les témoignages de ses camarades, en mourant, il parvint à murmurer «Pensez surtout à mes enfants». Il fut le premier soldat grec à se sacrifier pour la patrie lors de l'épopée de 1940.

D'après le témoignage de son compatriote Chrístos Gianniós, qui servait dans la même unité et se trouvait dans le même secteur que Vassílis Tsavaliáris : «J'étais un peu plus loin, Vassílis était sur l'avant-poste. Notre commandant fut le colonel Davákis. Dans l'obscurité, peu avant 5 heures du matin, nous avons entendu des obus tomber sur l'avant-poste. Plus tard, les hommes de l'avant-poste sont revenus. L'un d'eux est venu me dire : -Votre villageois est parti, il a été... mangé au mortier, touché au front, au-dessus de l'œil, nous l'avons ramené, nous avons demandé au pope de prier pour lui. J'ai été le premier à pleurer pour lui».

Le mézé des locaux. Pyrsógianni, 2025.

Témoignage, datant de 2020, de son fils, Níkos Tsavaliáris. «Mon père était sentinelle au 21e avant-poste sur la frontière gréco-albanaise, sur la position de Gólio, comme on l'appelle. Après 5 heures du matin, l'avant-poste a été attaqué par les Italiens. Un fragment a atteint mon père au front et l'a tué. Les seuls mots qu'il a prononcés ont été : -Veillez sur mes enfants, puis il est décédé. Je n'avais que 5 ans et mes frères étaient plus jeunes. La dernière fois qu'il était venu à la maison, c'était lorsqu'il avait été appelé de nouveau sous armes».

«J'étais petit, mais je me souviens de lui. C'était un soldat en tenue. D'après ce que disait ma défunte mère, il lui disait : -Ne t'inquiète pas. Tout ira bien. Tout ira bien. C'est ce qu'il disait, alors que je pense qu'il connaissait les dangers. Ce soir-là, ils organisaient la relève aux postes du bataillon en contrebas. Un officier avait dit que quelque chose n'allait pas, qu'ils avaient peut-être des informations, qui sait. Alors ils leur ont dit : Qui veut aller sur la frontière ce soir ? Et le premier à se lever pour dire - Laissez-moi y aller, fut mon père, selon les témoignages de villageois revenus et issus d'autres régions de Tríkala».

Maison à vendre. Pyrsógianni, 2025.

«Au fil du temps, par la volonté des êtres humains, ignorants parmi les ignorants, mais s'agenouillant avec respect devant ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté de notre patrie, il y a eu le combat difficile, pour sauver cette fois l'histoire. L'initiateur de la commémoration du sacrifice de mon père fut Geórgios Papavassilíou, enseignant et conseiller d'orientation en 1999».

Grâce à ses publications dans la presse locale et athénienne, Níkos Tsavaliáris a convaincu les médecins athéniens de la deuxième clinique pédiatrique à l'hôpital universitaire pour enfants «Panagiótis et Aglaé Kyriakoú», et plus particulièrement le professeur-directeur Themistoclís Karpáthios, ainsi que le regretté médecin, sculpteur et peintre Vassílios Kárlos.

La colline de Gólio. Sur de la frontière gréco-albanaise, 2025.

Les médecins universitaires de l'hôpital ont également participé à cette offrande. Émus par notre histoire, ils ont étudié les événements en détail et ils ont décidé d'honorer le premier défenseur de la patrie en érigeant une magnifique statue, inaugurée le 15 octobre 2000 en son honneur dans son village natal de Piália, près de Tríkala.

En 2025, les élus locaux thessaliens ont réitéré les commémorations, pour certains sans trop y croire on dirait. Et en même temps, Pyrsógianni autant que les localités voisines près de la frontière avec l'Albanie, s'apparentent plutôt à des villages fantômes. La frontière jadis défendue par Vassílios Tsavaliáris et par ceux de sa génération est désormais gardée par la FRONTEX, en réalité par son doux euphémisme, car elles sont devenues de véritables passoires, ouvertes à toute sorte de trafic, d'abord celui du crime plus organisé que jamais.

Poste de Police frontalière et FRONTEX. Pyrsógianni, 2025.

La taverne s'y maintient coûte que coûte, la population, divisée par dix en 70 ans est composée de vieux, toutes les écoles sont fermées et sur la frontière, les hameaux ayant à plusieurs reprises subi les raids des voisins albanais, ne maintiennent qu'une maigre portion de leurs habitants et cela uniquement durant l'été, quand certains enfants du pays reviennent depuis les grandes villes grecques, voire, depuis l'étranger.

Les maisons sont à vendre par dizaines, les héros, Grecs comme Italiens, ceux de jadis sont quasiment oubliés et pourtant, on y prépare encore de la bonne viande de l'Épire, on y sert du mézé et l'on discute alors football et géopolitique.

Le général Metaxás, sa famille et son chat. Athènes, années 1930.

Cette Grèce Autrement, elle tient d'abord et visiblement d'un pays en somme issu d'un autre temps. On songe ainsi aux héros du passé, au général Metaxás comme à son chat, aux Italiens éponymes ou anonymes dont le sort tragique en Grèce après 1943 a largement dépassé les limites du prévisible comme nous l'avons déjà évoqué, on songe enfin aux premiers comme aux derniers morts des guerres alors à répétition.

Chaque 28 octobre la Grèce célèbre paraît-il sa fête nationale, cette année transformée par la doxa décadente triomphaliste en long week-end pour citadins, pont compris ; mais à Pyrsógianni, les rares habitants ainsi que les chats des lieux, appréhendent surtout l'hiver, ou sinon, aux dires de certains locaux, ils appréhendent autant la supposée prochaine Troisième Guerre mondiale. Bonne «fête» !

Chat des lieux. Pyrsógianni, 2025.

source :  Greek City

Photo de couverture : Café et épicerie à l'ancienne. Région de Pyrsógianni, 2025.

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